lundi 25 mars 2013

Nicloux ni croix



Presque un demi-siècle après Jacques Rivette, qu’il trouva sans doute trop fidèle à la lettre du texte, Guillaume Nicloux nous pond cette semaine une nouvelle adaptation de La religieuse de Diderot. L’intérêt de cette dernière, si l’on en croit son modeste réalisateur récemment interviewé sur les ondes, réside dans la mue qu’il a opérée :
 « Il y a trois ans, dit-il, je me suis totalement débarrassé de l’image fausse, anticléricale de Diderot ».
Celui qui jusqu’ici avait, entre autres chefs-d’œuvre, adapté un ouvrage consacré à un invertébré, se pique donc aujourd’hui non pas d’une simple relecture personnelle et moins vintage – bouffer du curé serait devenu terriblement ringard – du brûlot de Diderot, mais de rétablir l’auteur dans sa vérité. L’encyclopédiste éclairé et fin gourmet, dont des générations d’admirateurs crédules auraient en effet mal compris l’esprit, ne se serait en réalité jamais dressé contre la religion elle-même et n’en aurait refusé que ses possibles excès, comme ceux de la table, en quelque sorte.
Pour nous offrir cette formidable découverte, Guillaume Nicloux explique s’être «concentré sur le noyau dur du récit ». Noyau apparemment trop dur pour sa tête molle, qui nous rêve un Diderot bien dégagé derrière les oreilles et dépourvu, entre les deux, de toute substance cérébrale.
Sans vouloir enfoncer Nicloux, Lilith, brave fille et prête à rendre service, lui rappelle, s’il souhaite tant illustrer sa propre ferveur cléricale, que l’intégrale de Pomme d’api et Fripounet n’a encore jamais été portée à l’écran.

La religieuse, en sale depuis mercredi 20 mars.


samedi 9 mars 2013

La gorgone






Couvertures des numéros 3, 4 et 5


La revue Gorgone aura donné naissance en 1991 et 1992 à quatre numéros : 2, 3, 4 et 5, le numéro 1 n’ayant jamais vu le jour du fait de la défiance ordinaire de ses auteurs vis à vis des aînés
En cette période d’explosion numérique où nombre de camarades s’échinaient fièrement à la maîtrise des nouveaux joujoux infographiques, les Gorgoniens s’imposèrent un dogme : composer une revue entièrement à la main, les doigts plongés dans l’encre et les révélateurs à tous les stades de la fabrication, l’unique concession étant l’usage ponctuel de la bonne vieille machine à ruban pour les moins férus de calligraphie.
Il y fut question dArt, de Mort, de Sexe, de la mort de l’Art, de l’art du Sexe, du sexe de la Mort, voire même de la mort du Sexe.
Elégante, sur papier glacé, la Gorgone était gratuite et distribuée en diverses occasions à Beaubourg ou au salon des Indépendants, entre autres.
Nous ne saurons jamais si c’est la crainte de se voir pétrifié après l’avoir regardée en face, ou une nouvelle preuve de la subversion inquiétante de la gratuité, mais on nous rendit souvent la revue, sans l’avoir feuilletée, et nous nous fîmes même virer du Grand Palais par des vigiles incapables de nous dire pourquoi.
Le lieu où la Gorgone reçut le meilleur accueil fut assurément le cortège de la Gay Pride 1992 où le numéro 5, consacré au Sexe, remporta un vif succès auprès d’une communauté qui ne défilait pas encore sous les couleurs de ses sponsors franchisés.
Lilith y participa et nous fait partager, ci-dessous, quelques bribes de sa mémoire.

Contre l'écriture informatique - n° 3
                 

Le piège est un style -  n° 3

Charogne picturale - n° 2

Reproduction skizo-sexuelle - n° 5


Dans le numéro 5


Révisions - n° 5


L'oeuf - n° 3
                                                                                         
                                                                             
                                                                            
                                                                          
                                                                              
                                                                                                                                                
                                                       
                          ÉQUINOXE
Bien qu’étendue depuis un long moment, elle ne parvenait pas à trouver le sommeil. Ses muscles tressaillaient à la moindre caresse du vent. Le sable à sa surface brûlait son corps nu, et elle se plaisait à s’y enfoncer davantage jusqu’à ce qu’il devînt frais et humide et apaisât enfin la douleur. Elle renouvelait ce jeu, offrant tantôt son ventre, un sein ou une cuisse à la lave en fusion qui semblait inonder cette plage. De temps à autre une étrille égarée prenait son corps pour un terrain d’aventures. Son audace guidée par sa quête du Grâal lui rendait sa présence de plus en plus insoutenable. Pourtant, pires encore étaient les moments d’accalmie où rien ne venait troubler cette quiétude tant recherchée. Les yeux mi-clos, ses pensées glissaient vers ces totems dressés, objets de son désir. Elle attendait, lascive, espérant s’attirer les regards de Priape, prête au sacrifice. Cependant trop occupé à quelque bacchanale, il ne lui accorda aucune attention… et ce fut la mer qui vint doucement la lécher. D’abord la plante des pieds, puis comme un amant délicat elle se hissa patiemment jusqu’au creux de ses cuisses.
Hésitante, elle paraissait vouloir reculer chaque fois qu’elle effleurait son sexe.
Puis dans un va et vient délicieux elle s’empara de lui, écumante et fougueuse, venant fouetter ses seins à intervalles réguliers, comme pour lui donner le temps de reprendre son souffle après chacun de ses assauts.
Le désir lui tiraillait le ventre, elle se laissait envahir, ballotter, projeter sur la grève. Les coquillages blessaient sa chair livrée aux morsures du sel. Tous les éléments oeuvraient pour son plus grand plaisir, quand les yeux rivés sur le soleil, la bouche pleine de sable, les doigts crispés cherchant désespérément où se raccrocher, elle fut saisie d’un spasme qui la secoua toute entière, et n’entendit pas le cri sorti de ses entrailles qui affola les mouettes trop curieuses du spectacle. S’abreuvant de son foutre, sa maîtresse d’un jour la retenait encore, puis lâcha son étreinte, se retira doucement et s’éloigna enfin, emportant avec elle de nouveaux élixirs dont elle parfumerait les abysses lointains.

                                                 
Le texte EQUINOXE ci-dessus (initialement calligraphié) ainsi que les deux photographies qui l'accompagnent furent réalisés par Lilith Jaywalker pour la Gorgone n° 5 (1992).