samedi 31 août 2013

Tartuffe va chez son psy, mais pas aux putes !

Le diable présente la Femme au Peuple (Otto Greiner, 1898).





Nombreux désormais sont ceux qui, tout en déplorant que la psychanalyse se limite à replacer l’individu au cœur du monde marchand, n’en jettent pas pour autant l’analysant avec l’eau du bain analytique.
Il est ainsi admis que si les maux des êtres atomisés trouvent leur source dans un capitalisme mondialisé, il n’y aurait aucune raison (sauf perverse) de leur faire attendre le « matin du grand soir » pour tenter de les guérir, dès lors que la psychanalyse – par l’écoute qu’elle monnaye – pense les plaies de leurs âmes. 
La fameuse participation financière de l’analysant, donnée pour clé de la réussite de l’analyse – hormis le fait qu’elle constitue la rémunération non négligeable de l’analyste – a la force symbolique de la valeur marchande. 
Qu’on ne s’y trompe pas : l’oreille tendue n’est ni celle – bénévole – du confesseur, dont la vocation est de faire aimer son dieu, ni celle de l’ami visant à se faire aimer lui-même. 
Le rapport se limite à la durée de la consultation dont le prix se voit fixé en fonction de cette même durée, selon l’adage bien connu : « le temps c’est de l’argent ». 
La trivialité apparente du procédé semble pourtant, dans une société libérale, conjuguer tous les avantages : « La neutralité analytique (la mise hors du jeu du désir de l’analyste, la non- participation, la non-réponse) est vraiment permise par le paiement », d’après Jean ZIN (voir son Psychanalyse et capitalisme). 
Selon lui, « on peut résumer le rôle du paiement dans l’analyse à ce qu’il constitue l’analysant comme acteur et qu’il réduit le désir de l’analyste à une contrepartie universelle, renvoyant à un désir extérieur à l’analyse elle-même. Ceci signifie que l’analyste n’a pas besoin d’aimer son analysant pour l’analyser, cela n’empêche pas l’analysant de vouloir séduire son analyste, au contraire. On achète réellement une écoute, mais c’est particulier à chacun de savoir pourquoi il paye. Car l’analysant paye pour l’accès à la jouissance qu’il suppose à l’autre. » 
En ces temps de retour à l’ordre moral, avec son cortège de pudibonderies  à la tête duquel les abolitionnistes de la prostitution confondent pseudo-angélisme et féminisme, Lilith ne peut s’empêcher de faire le rapprochement entre la psychanalyse et le commerce du sexe, et partant, d’exiger pour ce dernier le même traitement que celui dont bénéficie le précédent. Si la psychanalyse, en effet, est reconnue la spécialiste des insatisfactions de l’esprit, la prostitution est sans égale pour ce qui est des insatisfactions du corps. 
Pour parvenir à la guérison de ces êtres au corps lésé, bien avant que les analystes ne découvrent les vertus du paiement, les travailleuses du sexe ont de tout temps monnayé leurs prestations.
Tout comme l’analyste, la prostituée n’a ainsi pas besoin d’aimer son client pour le soulager. Celui-ci paye – par une contrepartie universelle – « pour l’accès à la jouissance qu’il [lui] suppose » (et qu’il trouve sans doute plus certainement auprès d’elle).
On retrouve enfin également la même mise hors-jeu du désir de la prostituée, sa non-participation (elle n’embrasse pas) et sa non-réponse (elle n’est ni sexologue, ni conseillère conjugale), ce qui n’empêche pas, non plus, la possibilité pour le client de vouloir la séduire.
Si les insatisfactions sexuelles n’ont pas attendu l’avènement de l’individu pour faire des ravages, la prostitution ayant, certes, précédé de loin l’existence du capitalisme, il en va de même des échanges marchands lesquels, depuis des siècles, réifient les rapports humains. En sorte que frustration sexuelle et société marchande sont indissociables.
Jean ZIN définit la psychanalyse comme n’étant pas seulement « dans » le rapport marchand, mais comme étant la psychanalyse « du » rapport marchand, des idéaux de l’individualisme libéral. Cette pertinente analyse vaut également pour la prostitution qui n’est pas seulement un rapport sexuel marchand, mais représente avant tout, la sexualité-type « du » rapport marchand.
Dès lors, celles et ceux qui prétendent en finir avec la prostitution sans en finir avec la marchandise peuvent être considérés comme les Tartuffe de ce féminisme qu’ils feignent insidieusement de servir. Ils/Elles ne répugnent pas à ce que le corps des femmes s’use dans un salariat aliénant ou s’exhibe dans la promotion de quelque produit industriel, dans la mesure où la femme qui se vend n’en tirera pas de réel profit pour elle-même, les intermédiaires qui se nourrissent sur elle la lavant en quelque sorte de toute impureté en ne lui reversant qu’un subside. 
Mais, qu’elle s’aventure à se vendre pour son propre compte, et voilà qu’il faudrait – au nom de sa propre liberté – la défendre contre elle-même. 
L’argument qui prévaut alors est que la femme peut bien vendre « le dehors » de son corps à quelque entrepreneur bienveillant, mais pas « le dedans » à un frustré (qui, pendant ce temps-là, en plus du reste, ne produirait pas) : la chose serait par trop avilissante. 
Le plus intéressant dans tout cela est qu’aucune voix ne s’élève jamais pour jeter l’anathème sur ce vil analysant dont les bas besoins de son âme, seuls, pousseraient les analystes à devenir des victimes, contraintes pour survivre de vendre leur écoute. 
Les abolitionnistes de la prostitution pensent qu’une société tourne rond autant que ses membres payent pour se faire entendre, par d’autres dont le métier consiste à les écouter, l’écoute, l’intérêt pour un autre que soi, voire l’empathie, pouvant se monnayer absolument sainement. En revanche, la maladie d’une société se reconnaîtrait à cela qu’elle permettrait d’acheter du plaisir et d’en vendre. 
Ce mouvement, qui se veut résolument moderne et audacieux, brandissant le projet de libérer la femme de son plus vieux métier, n’est en réalité que le paravent des relents judéo-chrétiens et autres retours en force du religieux. Il ne condamne réellement que deux choses dans la prostitution : la possible autonomie de la femme dans le rapport à son corps, et le Sexe, que ces militants ne parviennent pas à débarrasser de l’odeur de soufre dont ils l’ont eux-mêmes paré. 
C’est ainsi pour le bien de prostituées forcément, nécessairement traumatisées qu’ils ont déjà prévus des cellules d’écoutes chez des psy en tous genres lesquels, en toute décence et probité, leur proposeront de s’allonger sur leur divan, et leur vendront – chèrement – leurs chastes oreilles.


Comme Lilith ne croit pas au hasard, elle ne s’étonne pas qu’au moment où le texte de Jean Zin lui tombe entre les griffes, sort sur les écrans le film de François Ozon : Jeune et Jolie.
Le lecteur et spectateur attentif y trouvera la plus délicieuse illustration du propos qui précède dans la scène où la mère de l’apprentie-prostituée, en bonne bourgeoise qu’elle est, accessoirement et pathétiquement de gauche, accompagne sa fille chez le psy, pour la guérir de sa fâcheuse manie. 
Mis à part, cependant, quelques scènes bien léchées, au cours desquelles Marine Vacth (photo ci-dessus) nous fait découvrir la beauté mélancolique du diable en pleine puberté, il s’agit là d’un film somme toute assez convenu.
Et la polémique qu’il a déclenchée, autour du fantasme supposé de la prostitution chez les femmes, démontre à quel point la police de la pensée abolitionniste est non seulement inquisitrice mais encore trivialement manichéenne : la femme ne saurait choisir la prostitution de son plein gré, elle ne saurait davantage y trouver matière à fantasmer.
CQFD.

8 commentaires:


  1. Pour ma part, je trouve la comparaison trop flatteuse pour les psychanalystes.

    Les prostituées sont à mes yeux bien plus respectables.

    Car l'instinct sexuel lui au moins est véritable, alors que la théorie du blabla initiée par Freud n'est que vaste fumisterie.

    Mes hommages chère Lilith.

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  2. Laisser un commentaire ici ne devrait plus être gratuit : Je paye donc le prix pour ce type de commentaire et vous règle la somme de 200 €.

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  3. Vous semblez, cher Cédric, partager l'avis de Karl Kraus pour qui "la psychanalyse est cette maladie mentale qui se prend pour sa propre thérapie"...

    Je vous remercie, Alfonso, mais vous rappelle quand même le tarif habituel de Marine Vacth dans "Jeune et Jolie" :
    300 euros !
    Va pour cette fois...

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  4. Dame Lilith, déjà présente au sommet de notre admiration, réussit à s'élever au-delà des cieux.

    Les chèvres de l'Orée viennent de vous décerner l'Oreille d'or, sacrement suprême qui vous offre un accès illimité sur nos terres (le plan des trappes est gravé sur la fossette naviculaire), les jours de tempête.

    Sur ce, nous allons nous allonger, car nous avons abondamment creusé cette terre argileuse qui, au contact d'un soleil persistant se transforme en croûte aussi solide que le contraire.

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  5. Très cher Marquis,
    Que lis-je : vous creusez encore !
    Entendez-vous donc transformer votre mare en lac des cygnes ?
    Méfiez-vous de voir débarquer non plus une armée de marcheurs bardés de détritus, mais une colonie de vacances, avec son cortège de bouée-canards, frisbees et autres pédalos, sur ce qu’ils rebaptiseront illico : « base nautique »…
    Enfin, remerciez vos chèvres de l’honneur qu’elles me font, et dites-leur que même en pleine disette, je ne troquerais contre rien au monde mon Oreille d’or.
    Je vous salue, Marquis, et mon troupeau de moutons – sous mon lit – salue vos caprinés aussi.

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  6. Je réglerai le solde la prochaine fois.

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  7. N'en faites rien, très cher, ce qui est dit est dit.

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  8. Beau texte qui peut servir de base à une discussion autour du soin et du refoulement sexuel. Avec ma psy ça ressemble plutôt à un confessional. Ce qui me regarde et ne m'empêche pas d'être anti clérical.Qui durera le plus longtemps la psychanalyse ou la prostitution ? bises Rénato Shouteur.

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