jeudi 31 mars 2016

Décadentisme printanier


« Après les fleurs factices singeant les véritables fleurs, il voulait des fleurs naturelles imitant des fleurs fausses…

 
 

… Ces plantes sont tout de même stupéfiantes, se dit-il ; puis il recula et en couvrit d'un coup d'œil l'amas ; son but était atteint, aucune ne semblait réelle ; l'étoffe, le papier, la porcelaine, le métal, paraissaient avoir été prêtés par l'homme à la nature pour lui permettre de créer ses monstres.

 
 

Tout n'est que syphilis, songea des Esseintes, l'œil attiré, rivé sur les horribles tigrures des caladiums que caressait un rayon de jour. Et il eut la brusque vision d'une humanité sans cesse travaillée par le virus des anciens âges. Depuis le commencement du monde, de pères en fils, toute les créatures se transmettaient l'inusable héritage, l'éternelle maladie qui a ravagé les ancêtres de l'homme, qui a creusé jusqu'aux os maintenant exhumés des vieux fossiles !

 
 

Elle avait couru, sans jamais s'épuiser à travers les siècles ; aujourd'hui encore, elle sévissait, se dérobant en de sournoises souffrances, se dissimulant sous les symptômes des migraines et des bronchites, des vapeurs et des gouttes, de temps à autre, elle grimpait à la surface, s'attaquant de préférence aux gens mal soignés, mal nourris, éclatant en pièces d'or, mettant, par ironie, une parure de sequin d'almée sur le front des pauvres diables, leur gravant, pour comble de la misère, sur l'épiderme, l'image de l'argent et du bien-être !

 
 

Et la voilà qui reparaissait, en sa splendeur première, sur les feuillages colorés des plantes ! »

 

(Huysmans, A rebours


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